Le sens au travail, un peu d’histoire…
Le monde du travail n’a pas toujours ressemblé à ce que nous connaissons aujourd’hui. De fait, une des grandes transformations connues dans les milieux de travail est le taylorisme.
Cette grande transformation est née dans les années 1890 et elle tire ses racines de Frederick Winslow Taylor, un ingénieur américain. Le taylorisme a pris forme dans un contexte où on voulait maximiser les gains en efficacité. Nous étions dans un contexte social où le niveau de vie s’élevait pour la classe moyenne et la classe ouvrière. Il y avait une expansion du travail à la chaîne. À cette époque, le travail était qualifié d’aliénant. Le travail réalisé ne demandait plus de compétences intellectuelles. C’est ainsi qu’est né le taylorisme. On calculait le temps pour réaliser chaque tâche. Par conséquent, le travailleur avait un temps alloué pour réaliser sa tâche. Le rendement était au cœur des préoccupations des organisations. Celles-ci pensaient en termes de gains d’efficacité.
Le brown-out ou syndrome de la perte de sens au travail correspond à une baisse de courant, à une perte de sens.
Le taylorisme est marqué par des conditions de travail médiocres et très répétitives. Il y avait une perte de la finalité du travail. Le travail ne demandait plus de réfléchir. Par ailleurs, cette méthode de travail à la chaîne a aussi été instaurée dans la grande entreprise de Ford. C’est pour cela qu’on parle également de fordisme.
Le fordisme, c’est une division du travail qui vise une grande productivité. Dans cette phase, on visait la diminution des coûts de production en échange d’un salaire pour les employés. On intensifie le travail à la chaîne. On écourte le travail des employés pour qu’il soit plus rentable. On voulait que les employés donnent du cœur à la tâche pour être pleinement productifs. Le fordisme est considéré comme la fin du taylorisme.
Le fordisme voulait augmenter le pouvoir d’achat de ses ouvriers pour que ceux-ci puissent davantage consommer. On voulait encourager la consommation de masse. C’est donc dans cette idéologie que le krach boursier frappa le monde économique en 1929. Avec les années folles, la guerre est terminée, le système financier fonctionne mieux, les gens dépensent en masse. Les banques font faillite. Cette crise devient financière et finalement économique. Il y a donc plein de gens qui perdent leur emploi. C’est l’effondrement du commerce mondial.
Prospérité économique et recherche de sens
Les trente glorieuses sont des années de prospérité économique. Cela arriva après la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit d’une forte croissance économique. Le gouvernement investit dans différentes organisations pour repartir l’économie. L’intervention de l’État est nécessaire. Les trente glorieuses se résument à un meilleur contrôle des conditions dans lesquelles s’exerce le travail. On voit apparaître des réformes sociales majeures et un répit pour la masse de travailleurs. C’est l’apparition du syndicalisme. On peut aussi voir des améliorations des conditions de travail.
L’État devient un gros employeur, il crée de nouvelles carrières. C’est l’apogée de la consommation de masse. Toutefois, cela n’est pas sans impact pour le travail. Il y a désormais des conditions de travail plus réglementées. L’État vient réguler la relation entre employeurs et employés. On se rend compte que sans l’intervention de l’État les gens ont une soif d’enrichissement trop forte.
Il y avait maintenant une possibilité de s’épanouir, de faire ce que l’on aime. On peut monter dans une entreprise selon nos compétences. Néanmoins, c’est le travail de l’humain qui s’ajuste aux machines. On cherche toujours de nouvelles recettes pour être plus productif. On demande également aux travailleurs d’être spécialisés dans un domaine. Le travail est de plus en plus abstrait. Le travailleur doit établir et agir sur l’organisation du travail. Il doit trouver ses propres stratégies. On demande au travailleur de s’autoréguler. On demande un engagement des salariés et un engagement social pour que les travailleurs se donnent à leur emploi. Ils doivent travailler pour le bien de l’entreprise. On leur en demande de faire plus avec moins.
L’avènement technologique et les bullshit jobs
Aujourd’hui, les attentes sont plus élevées que jamais, car la population est plus instruite et la technologie permet de travailler à partir de n’importe où. Même si le monde du travail d’aujourd’hui ne ressemble plus à celui du travail à la chaîne au début du 20e siècle, il n’en demeure pas moins que les tâches répétitives, la perte de la finalité du travail et le travail abstrait sont pourtant bien présents. Et ils créent une souffrance chez les gens.
L’humain a besoin de comprendre pourquoi il fait son travail.
Christophe Dejours disait que le travail est « l’activité organisée par laquelle les humains transforment le monde naturel et social et se transforment eux-mêmes ». Lorsque le travail ne permet plus l’évolution chez le travailleur, celui-ci perd de son sens. C’est d’ailleurs l’anthropologue David Graeber qui, en 2013, a introduit la notion de brown out sous le terme de bullshit job. Le brown-out ou syndrome de la perte de sens au travail correspond à une baisse de courant, à une perte de sens. Il désigne les pathologies de santé mentale qui en sont les conséquences. Il se traduit par un sentiment d’absurdité et d’inutilité.
La crise sanitaire est venue raviver cette quête de sens au travail. Plusieurs travailleurs ont expérimenté la perte de sens pendant cette période, et encore aujourd’hui. Nous n’avons qu’à penser aux contacts sociaux réduits, travail et tâches abstraites, augmentation des tâches administratives, baisse du sentiment d’appartenance à un groupe ou à une équipe, etc. Cette crise sanitaire a entraîné une remise en question profonde du sens au travail. Serait-il possible que cette crise ait contribué à réaligner les gens vers le sens? Car contrairement aux bullshit jobs, « lorsque les individus parviennent à avoir un impact sur le monde par le biais de leur travail, que celui-ci ne menace pas leur cohérence éthique et qu’au contraire il permet à chacun de développer sa capacité d’agir, le travail a du sens et contribue puissamment au bien-être psychologique. » Nous pouvons donc voir à travers l’histoire et nos connaissances actuelles sur le travail que lorsque ce dernier perd de son sens, il en résulte une forme de souffrance et une atteinte à la santé psychologique. À l’inverse, lorsque le sens est présent, il est un puissant facteur de bien-être psychologique et d’évolution.
Et vous, est-ce que votre emploi a du sens?
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Références :
Coutrot, T., & Perez, C. (2022). Redonner du sens au travail: Une aspiration révolutionnaire; Éditions du Seuil.
Dejours, C., & Abdoucheli, E. (1990). « Itinéraire théorique en psychopathologie du travail », Revue Prévenir, 20(1), 21-38.
Graeber, D. (2018). Bullshit jobs, Emploi, 131.
Graeber, D. (2015). The utopia of rules: On technology, stupidity, and the secret joys of bureaucracy, Melville House.
Hilali, N. E., & Mathieu, J. P. (2010). Taylorisme, Fordisme et Toyotisme: comment le design management a construit les principaux modèles productifs de la théorie des organisations.
Cristyna Parent est conseillère d’orientation et psychothérapeute de formation. Elle a agi comme facilitatrice et formatrice sur des thématiques telles que le leadership transformationnel, la sécurité psychologique, l’intelligence collective, etc.
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